L’avenir de notre profession : nos prérogatives d’exercice

L’adaptation face à l’environnement est possible, dans le respect de notre réglementation, nous pouvions le réaliser, nous le réaliserons !

L’origine des prérogatives d’exercice confiées à notre profession (ouvrir, redresser, tenir, réviser, consolider des comptes…) par l’ordonnance de 1945 se trouve dans la science nécessaire pour réaliser les tâches comptables, qui ont pour objectifs la qualité de l’information financière et de façon ultime la sécurisation des assiettes fiscales, sociales… confiée par la société à notre profession.

Notre lien avec la fiscalité, notre tutelle, tombe sous le sens, et les tâches confiées par nos politiques, dont la confiance a été de nombreuses fois dans l’histoire renouvelée (Sénat, gouvernement, parlement, ministres…) n’a cessé d’évoluer en même temps que les techniques, technologies.

Notre profession réglementée est respectable et respectée car elle a su au fur et à mesure des années innover, démontrer la qualité du contrôle de ses membres, de sa formation initiale et continue, et la défense des prérogatives confiées par la haute qualité du service rendu à l’intérêt général.

Contrairement à ce que certains semblent vouloir tenir comme discours sur l’avenir de l’écriture comptable – la tenue-, celle-ci reste essentielle comme origine de toute base des différentes assiettes, et nécessite une technicité, un suivi, un paramétrage nécessairement intellectuel. Qui aujourd’hui peut prétendre à une forme d’automatisation sans paramétrages et interventions humaines, intellectuelles ?

Les prérogatives d’exercice confiées à notre profession d’expert-comptable nous confèrent des droits et des devoirs. Les mandatures ECF, dans les Conseils Régionaux ou au Conseil National, sont toujours des mandatures au service de la défense des confrères, de nos clients et de l’intérêt général.

Les prérogatives confiées aux experts-comptables : arme pour le marché économique français et sécurité pour les entreprises

Premier conseil des chefs d’entreprises, dont le marché est principalement les TPE-PME, l’expert-comptable intervient sur un champ d’activité large pour les entreprises. Nous sommes au cœur des enjeux de l’économie, par la fiabilité des comptes et une participation à une saine concurrence. La première porte d’entrée d’un chef d’entreprise pour prendre contact avec un expert-comptable reste souvent dans son parcours une mission de présentation, démarrant par la tenue comptable.

Nos clients trouvent des réponses à leurs demandes dans l’intransigeance de la maîtrise de nos travaux comptables. Nous rendons une image fidèle aux comptes, sécurisons le marché et l’assiette fiscale – sociale, et sommes le premier accompagnateur à l’investissement et au financement.

L’image est d’autant plus renforcée depuis la crise du COVID, où l’État qui a bien conscience de notre rôle sociétale, d’information et de production qualitative, nous a même confié des travaux spécifiques d’attestation, de démarches, afin de faciliter alors l’accessibilité aux aides. Organisation exemplaire, pragmatisme de notre profession, proximité avec les dirigeants : nous sommes le maillon essentiel pour beaucoup d’institutions et professions qui nous envient, mais également une arme de diffusion de règles, d’opportunités et d’informations auprès des entreprises pour l’État français. Soyez-en convaincu, l’ensemble de mes échanges avec les différentes institutions prouvent le grand rôle que joue la profession sur chacun des territoires !

Les prérogatives et la sous-traitance

Au regard des conséquences désastreuses qu’il occasionne tant sur les tiers que sur les membres de l’Ordre qui l’utilisent, le principe du recours à la sous-traitance à un non membre de l’Ordre, s’agissant des prestations relevant de nos prérogatives, est fortement déconseillé depuis de nombreuses années.

Les décisions récentes confortent ce principe.

Dans un arrêt de principe du 4 octobre 2022 publié au bulletin, la Cour de cassation y a répondu avec la plus grande clarté et la plus grande fermeté. Sur son site internet, elle résume la portée de cet arrêt et la situation juridique qui s’impose.

« Commettent les délits d’exercice illégal de la profession d’expert-comptable et de complicité de cette infraction, respectivement, les prévenues qui, sans être inscrites au tableau de l’Ordre, effectuent dans le cadre d’un contrat de sous-traitance, des travaux relevant de l’exercice de la (Page 2 sur 3) profession d’expert-comptable, et le cabinet d’expertise comptable qui leur sous-traite ces mêmes travaux » https://www.courdecassation.fr/decision/633d294ea3bbc43e2e4d4c08

Aussi l’heure n’est plus à l’interprétation des articles de l’ordonnance de 1945 et à la justification de pratiques qui n’ont pas lieu d’exister.

Dans cette décision parfaitement motivée, la plus haute juridiction a justifié cette impossibilité de sous-traiter des travaux comptables à toute autre personne qu’un expert- comptable en trois attendus.

Dans les deux premiers, la Cour rejette l’argumentation principale des illégaux et leur complice cherchant à dévoyer la rédaction de l’article 20 de l’ordonnance pour justifier que les travaux comptables effectués par les sous-traitants ne sont en définitive pas exercés « en leur nom propre et sous leur responsabilité », mais sous celle exclusive de l’expert- comptable.

Le dernier attendu prend lui une portée générale, en concluant que la sous-traitance de travaux de comptabilité n’est pas autorisée compte tenu des objectifs justifiant de la prérogative exclusive d’exercice dévolue à notre profession[1].

« En troisième lieu, la sous-traitance de travaux de comptabilité, qui n’implique pas la complète subordination du sous-traitant à l’expert-comptable, ne permet pas de garantir la transparence financière ni la bonne exécution des obligations fiscales, sociales et administratives des acteurs économiques, alors que ces objectifs justifient la prérogative exclusive d’exercice de l’expert-comptable, professionnel titulaire du diplôme afférent, qui prête serment lors de son inscription au tableau de l’ordre, se soumet à un code de déontologie et à des normes professionnelles, et qui, objet de contrôles réguliers de son activité, est en outre soumis à une obligation d’assurance civile professionnelle ».

Aussi, cette décision dépasse largement la question de la sous-traitance et constitue un véritable plaidoyer pour notre profession et les prérogatives qui nous sont confiées.

Cet arrêt fait suite à une précédente décision de la Cour de cassation, qui saisit d’une question prioritaire de constitutionnalité sur la compatibilité de l’interdiction de la sous-traitance avec la liberté d’entreprendre, avait déjà rappelé l’impossibilité de sous-traiter tous travaux de comptabilité[2].

« En premier lieu, la réglementation des opérations comptables énumérées par les deuxième et troisième alinéas de l’article 2 de l’ordonnance n°45-2138 du 19 septembre 1945, réservées à la profession d’expert- comptable, dont l’indépendance vis-à-vis des donneurs d’ordre est garantie et qui est soumise à des obligations déontologiques, est justifiée par l’intérêt général.

En deuxième lieu, l’interdiction faite aux experts-comptables, dont l’exercice de la profession est protégé, en contrepartie des obligations susmentionnées, par l’article 20 de l’ordonnance no 45-2138 du 19 septembre 1945, de sous-traiter ces mêmes opérations à des tiers non titulaires du titre, est une conséquence nécessaire de la réglementation de leur activité.

En troisième lieu, l’atteinte ainsi portée à la liberté d’entreprendre est proportionnée au but d’intérêt général sus évoqué, dans la mesure où les missions réservées à l’expert-comptable, limitativement énumérées par les dispositions contestées, relèvent de l’encadrement imposé par les finalités ci-dessus définies. Ces deux décisions parfaitement motivées et rendues par la plus haute juridiction en quelques mois d’intervalle constituent un socle juridique solide sur lequel notre profession peut capitaliser. »

Nos règles, nos contrôles et nos exigences soulignées par la haute Cour légitimisent nos prérogatives et notre utilité à œuvrer pour l’intérêt général. A ce titre ils constituent la base de la profession réglementée d’expert-comptable. Ces décisions nous rappellent l’obligation d’être intransigeants dans la maîtrise de nos travaux comptables. L’intérêt individuel ne saurait primer ni sur l’intérêt collectif, au risque de fausser la concurrence entre les experts-comptables, ni sur l’intérêt général, au risque plus grand encore de légitimer des illégaux. Cela contribuerait à fragiliser nos prérogatives maintes fois contestées mais qui demeurent intactes depuis près de 80 ans malgré les prévisions les plus alarmistes. Ces décisions sont en effet la concrétisation d’une détermination sans faille de la profession à cultiver l’excellence et préserver nos intérêts à travers notamment la lutte contre l’exercice illégal.

Au niveau du Conseil national de l’ordre des Experts-Comptables…

Il est à noter que la communication de l’arrêt de la Cour de cassation qui vise à protéger la profession, le plan d’accompagnement des consœurs et confrères alors établi en vue de régularisation et de pédagogie, et le nouveau guide sur la répression de l’exercice illégal prêts grâce à notre anticipation liée à notre connaissance des normes professionnelles et leur application fin 2022, a été tout bonnement enterré par la mandature actuelle par la création d’un groupe de réfection sur le sujet, qui n’a jamais rien produit malgré mes relances et propositions !

Certains sous-traitants agissent bien sûr de l’étranger. Que pouvons-nous faire ? Le recours à la sous-traitance auprès de non-membres de l’Ordre à l’étranger, c’est-à-dire un sous-traitant non inscrit à l’Ordre dans son propre pays, est déjà interdit dans notre doctrine. Il s’agit donc plutôt de l’inverse : nous avons « balayé » chez nos confrères à l’étranger avant de clarifier nous-même notre exercice sur notre territoire. Pour renforcer ces positions, la commission que je présidais au CNO jusque fin 2022 avait ainsi initié de multiples projets de convention avec les Ordres francophones à l’étranger. Les travaux en cours proposaient des solutions concrètes et immédiates à mettre en œuvre sur ces territoires : il est donc bien possible d’agir ! En bannissant le recours à cette forme de traitement pour exclure facilement tout risque de complicité c’est tout le réseau francophone des experts-comptables à l’étranger qui s’est trouvé renforcé par cette décision !

Preuve s’il en est qu’au-delà de commentaires accompagnant la publication, certains peinent à dissimuler leur système organisé de contournement des règles ordinales, des contrôles qualités, des règles d’encadrement et de formation, voire de contributions à l’Ordre en se détournant des cotisations ! Pour ceux-ci qui agitent des menaces de recours, des menaces européennes, l’intérêt personnel ou de quelques-uns prime sur l’intérêt collectif et général !

Les prérogatives : le recrutement

La situation tendue sur l’emploi au sein de notre branche professionnelle et plus généralement sur celui des emplois qualifiés en France ne saurait trouver une réponse par la sous-traitance auprès de non-membre de l’Ordre ou la dérèglementation.

Si ce type d’opinion venait à être développé, il n’entrainerait qu’une hausse des tarifs horaires, une pénurie accentuée de main d’œuvre, une perte de confiance de notre tutelle et une perte de nos prérogatives.

C’est ainsi que la profession de Notaire s’est retrouvée obligée par exemple d’imposer des règles ces dernières années de ce qui pouvait être sous-traité ou non : les comptables taxateurs ne peuvent être désormais que des salariés des études, pour des raisons de fiabilisation de l’assiette, de formation mais aussi de pénuries d’alors liées à la multiplication en quelques années d’indépendants qui profitaient financièrement d’un vide laissé à la sous-traitance, désormais interdite, au prix d’une qualité forcément amoindrie..

Plus proche de nous, la sous-traitance dans le métier de commissaire aux comptes, confié à un professionnel non inscrit à la Compagnie ou à l’Ordre des experts-comptables ou l’un de leur salarié n’est pas autorisé[3]. Et que cette sous-traitance ne peut être utilisée systématiquement pour pallier un manque de ressources internes.

Qu’avons-nous de différent si ce n’est un marché important que beaucoup nous envient ? Nous devons en être digne, et respecter notre règlementation et nos normes.

Par ailleurs, notre profession qui entre de façon progressive mais pérenne sur le marché de la RSE et de la durabilité, ne peut pas organiser une précarisation du personnel d’une partie de son activité, qui resterait sur la touche de la formation et du développement.

Nous sommes les premiers concernés, et seuls les efforts sur l’attractivité de la profession par la multitude de métiers proposés par les cabinets, l’innovation, la formation, la réglementation, la qualité, les rémunérations doivent être mise en avant pour le recrutement.

La prérogative liée à la tenue avec l’arrivée de la facturation électronique

« Avec la facture électronique, ce sont des combats d’arrière-garde ! »

Voilà une phrase que nous pouvons entendre fréquemment.

Non la facturation électronique ne comporte pas de comptabilité : il faudra toujours paramétrer nos logiciels, utiliser l’humain pour personnaliser la comptabilité et fiabiliser les bases fiscales.

La collecte des pièces elle sera grandement simplifiée, c’est un fait. Mais l’imputation, qu’elle soit physique ou intellectuelle perdurera.

Notre mandature 2020-2024 devait passer par plusieurs étapes dont celle de la facturation électronique. Ensuite de la sous-traitance, nous avions prévu d’adapter l’ordonnance de 1945 afin d’insérer la notion de « traitement comptable de la facturation électronique » en plus de la « tenue ». Nous serons, quoi qu’en pensent certains, les premiers formateurs et diffuseurs auprès de nos clients des futures nouvelles obligations liées à la facturation électronique. L’État compte plus que jamais sur nous.

C’est cette proposition que notre groupe ECF soutient au CNO, en vain bien entendu depuis 2023 dans le contexte de défense pour les uns des grands réseaux déjà dotés de leur organisation et prônent la déréglementation, ou de certains intérêts personnels qui ne sont désormais plus dissimulés.

Il est pourtant de notre responsabilité d’apporter cette précision d’urgence, afin de garantir, comme toujours les experts-comptables l’ont garanti, la fiabilité de l’information et l’assiette, et éviter dans les prochaines années :

  • Des dépenses renouvelées de plusieurs centaines de milliers d’euros annuels dans la répression de l’exercice illégal par nos conseils régionaux de l’Ordre des experts-comptables,
  • L’apparition de disrupteurs de marchés, qui tromperont le consommateur sur la qualité finale des travaux et de l’information financière rendue.

Les prérogatives liées à l’information extra-financière

Comment passer à côté du sujet de la durabilité ces deux dernières années ?

Enjeux sociétal, d’ampleur nationale et internationale, avec pour les entreprises la pérennité de leur exploitation, nous devrions être au cœur de cette production d’information extra-financière. Car il ne faut pas s’y tromper, le ruissellement de la demande de documentation des grandes entreprises vers les TPE-PME interviendra dès 2025. Nos enjeux sont multiples !

  • Accompagner les TPE-PME à maintenir voire conquérir leurs marchés avec les grandes entreprises.
  • Assister la société à dépasser les défis de mutation écologiques qui nous attendent et qui impacteront toutes les activités.
  • Adapter nos effectifs par la formation, par le recrutement aux besoins de données qui vont apparaître.
  • Maintenir nos effectifs de haute valeur ajoutée, nos experts-comptables stagiaires, qui en l’absence de certification de durabilité d’un Expert-Comptable pourront se détourner des cabinets au profit des grands réseaux.

Comment notre institution a-t-elle pu passer à côté du besoin, d’addition de prérogatives, depuis 2023 ? Seuls les Experts-Comptables détiennent des données financières transposables/déchiffrables en termes de durabilité et pourront accompagner les TPE-PME dans leurs obligations. La Compagnie des Commissaires aux Comptes, elle, a bien rempli son rôle politique et institutionnel : elle a fait consacrer le rôle du commissaire aux comptes dans l’audit des rapports de durabilité et organiser massivement sa reconnaissance et sa formation.

Mais qui produira les rapports de durabilité ? A coup sûr l’Expert-Comptable, et sans texte, sans reconnaissance, voire pire il se verra opposer une concurrence déloyale, car d’autres organismes, sans obligation de formation, de normes, produiront sans risque de contrôle.

 

Conclusion

Certains prônent la prérogative fiscale qui est une vieille rengaine usée qui verrait l’Expert-Comptable sous-traitant et responsable d’une matière comptable qu’il ne maîtrise pas, et pourtant essentielle. Elle ne peut remplacer la prérogative comptable, qui elle seule est la source de fiscalité. La compléter, le débat peut être ouvert, nous avons déjà mis un pied tous dans l’Examen de conformité fiscale.

A l’heure de la durabilité, l’information, demain, ne sera pas que comptable : nous devons également être positionnés. Qu’a fait le Conseil National depuis début 2023 pour renforcer nos prérogatives sur ces sujets, alors que notre environnement nous fait confiance, à juste titre ?

Le Syndicat ECF, seul, est le garant d’une réglementation responsable, débattue et d’une proposition d’adaptabilité des textes dans le contexte de la facture électronique et d’information extra-financière en concertation avec notre tutelle.

Pour ceux qui en doutaient encore, nos prérogatives sont un atout majeur pour notre profession, et un outil d’intérêt général pour notre société.

L’adaptation face à l’environnement est possible, dans le respect de notre réglementation, nous pouvions le réaliser, nous le réaliserons !

[1] Cour de cassation, Crim. 4 octobre 2022, n°21-85.594

[2] Cour de cassation, Crim. 22 février 2022, n°21-85.594

[3] avis du H3C du 24 juin 2010 qui s’appuie sur les articles 7 et 16 du code de déontologie, l’article L823-13 du code de commerce ainsi que l’article 15 du précédent code de déontologie relatif à l’organisation du cabinet et dont on retrouve les exigences aux articles R.822-32 à R. 822-35 du code de commerce.

 

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